Amis, camarades,
Je suis président de l’Association Nationale des élus locaux, libres penseurs et amis de la Libre Pensée. Nous travaillons en France en étroite relation avec la Libre Pensée, ses fédérations.
Les interventions de nos camarades espagnols, les combats menés, dans des formes différentes des nôtres, témoignent de problèmes de même nature. Dans cette lutte pour la laïcité, nous avons un avantage d’importance, celui des lois de la République, de la loi de 1905, de la laïcité institutionnelle. (1)
Nos communes subissent une double offensive en France :
- Celle de l’Église contre la laïcité, contre la liberté de conscience, avec une volonté de prendre, de reprendre, une place publique, contre la loi de 1905, offensive soutenue ou devancée par des initiatives politiques d’élus réactionnaires. Par exemple dans l’affaire des crèches catholiques dans les maisons de la République, mairies, conseils généraux…
- Une offensive structurelle, entamée de longue date : les lois successives de décentralisation-régionalisation ont entamé la dislocation des structures de la République héritées de la Révolution française. C’est une volonté de substituer au triptyque « Communes, départements, État » le triptyque « Intercommunalités, Régions, Union Européenne ». Des intercommunalités de plus en plus grosses, pour faire disparaître les petites communes; des régions de plus en plus importantes pour leur attribuer les fonctions qui relevaient jusque là de l’État. La nouvelle région Aquitaine a autant d’habitants que l’Autriche !
Cette double offensive a une seule et même source réactionnaire : celle de Rome, du Vatican, la doctrine sociale de l’Église, sa hargne, sa volonté de revanche contre la laïcité et la démocratie républicaine.
Un humoriste disait récemment « La France fille aînée de l’Église ? Là on aurait souhaité un avortement ! »
Il y a un lien dans les faits entre ces offensives cléricales. La régionalisation favorise les initiatives d’inspiration concordataire, nationales ou locales, voire des remises en cause directes des fondements de la République, en raison de leur nature commune, fondamentalement étrangère à l’héritage du processus d’émancipation politique engagé par la Révolution française. (2)
Des structures « de dialogue » se mettent en place, des « conseils des cultes » avec les élus et les représentants de l’État. La laïcité ce serait le « vivre ensemble » et pour sa « journée de la laïcité » cette semaine à Bordeaux M. Juppé invite les citoyens à visiter les lieux de culte !
Plus la régionalisation progresse, plus la République est remise en cause, plus la laïcité prend des coups, et la Séparation des Églises et de l’État recule. L’École de la République est tout aussi menacée: école de la République ou école des territoires ?
Si nous avons voulu depuis quelques années relancer ce travail de fond vers les élus locaux, dynamiser pour cela notre association, c’est parce que, élus municipaux, nous sommes en première ligne. Nous sommes à la base du socle républicain, les garants de la laïcité au niveau local. Le Maire, en particulier, est le responsable du personnel (fonctionnaires), il doit garantir la laïcité des services de l’administration de sa commune, mais aussi la liberté de conscience des citoyens. Liberté de conscience, et non liberté de religion. J’insiste car cette confusion relève d’une « tendance » forte actuellement. La liberté de conscience ne se borne pas à la liberté des religions.
Pour nous, élus libres penseurs, il s’agit de mettre en application le principe de Séparation des Églises et de l’État, à commencer par
– La séparation de la sphère publique de la sphère privée,
– Le non-financement des cultes, directement ni indirectement, ni des lieux de culte, car nous sommes aussi, en même temps, les dépositaires de l’argent public, donc les garants de l’utilisation des deniers publics. C’est une question, brûlante : faut-il financer les lieux de cultes avec l’argent public ?
La loi de 1905 c’est très clair, l’interdit, interdit de rémunérer sous quelle que forme que ce soit les ministres du culte, d’octroyer des subventions, pécuniaires ou en nature, aux associations cultuelles, aux congrégations ou autres personnes morales ayant un objet cultuel notamment.
Nous sommes vous le voyez les plus exposés « à la base », le plus souvent confrontés à ces questions de manière très pratique.
Dans un Guide de la laïcité, que nous avons rédigé à l’intention des élus républicains et des citoyens, nous abordons ainsi plusieurs chapitres:
– Entretien des lieux de cultes dont les communes sont propriétaires depuis la loi de 1905.
– Symboles religieux sur le domaine public, gestion des cimetières…
– Présence d’élus avec leur écharpe aux offices religieux, invitation de religieux à des cérémonies officielles…
– Demande de salles pour le culte
– Demande de subventions pour des associations.
– Aides illégales aux établissements privés catholiques… Ainsi des maires donnent davantage aux écoles privées que ce que leur impose la loi Debré…
Je ne pourrai pas hélas, dans le temps limité de cette intervention, vous en donner des exemples.
Les atteintes à la laïcité se multiplient et de ce fait, le combat que mène la Libre Pensée est apparu au premier plan, plus particulièrement dans la dernière période, et nous avons gagné pas mal de recours devant les tribunaux.
Cette place, centrale, de la Libre Pensée dans le combat laïque, pour la défense de la loi de 1905, contre cette volonté vaticane d’hégémonie, est importante. D’autres organisations et personnalités laïques nous rejoignent.
Je voudrais vous dire, pour conclure, combien nous nous sommes sentis concernés et solidaires de vos combats, camarades espagnols, des exemples concrets que vous nous avez donnés dans vos interventions.
Ceux qui, ici et ailleurs, veulent nous ramener vers des « racines chrétiennes », veulent en fait nous ramener vers le passé, nous ramener en arrière.
Les institutions de la République n’ont pas à refléter le passé, la République doit nous tirer vers l’avant, pour la laïcité, pour la liberté de conscience.
C’est sur ce socle, dans le cadre de l’A.I.L.P. que nous avancerons ensemble.
Je vous remercie.
Christian Baqué
Président de l’Association Nationale des Élus locaux Amis de la Libre Pensée
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- Rappelons simplement ici que la loi de 1905 dite « de séparation des Églises et de l’État » organise deux domaines. Une sphère publique (Administration, État, École publique, services publics) et une sphère privée (tout le reste). Dans le domaine de la sphère publique, un certain nombre de choses sont prohibées, car il s’agit de l’intérêt général. Ces interdictions ne s’appliquent que dans cette sphère publique, ce qui permet les plus grandes libertés démocratiques, collectives et individuelles, dans la sphère privée. Les interdictions dans une sphère ne s’appliquent pas dans l’autre bien évidemment (sinon à quoi servirait la séparation ?). Certains s’évertuent aussi à inventer un nouvel espace entre les deux « un espace public », notion juridique qui n’existe pas.
- La Révolution française a su concilier la puissance de l’État, comme garantie de l’égalité des citoyens, et la vitalité de la démocratie locale. Conçue comme l’expression de la volonté générale, la loi a reconnu des droits fondamentaux à l’individu et créé les collectivités territoriales, les communes en particulier, dans lesquelles s’enracine la souveraineté populaire. Pour accomplir ce pas en avant, de géant, elle a jeté en même temps les bases de la sécularisation et de la rationalisation de la société civile sans laquelle n’aurait pu disparaître l’inégalité des conditions procédant de la division en ordres. La République, unie et indivisible a, depuis, accentué la démocratie locale et la laïcité, étendu les libertés individuelles (lois sur la presse, le droit de réunion, la liberté syndicale, le contrat d’association, la liberté de conscience…), les libertés locales (lois sur le département, l’élection des maires, la vie municipale…), approfondi la sécularisation de la société civile (laïcisation de l’enseignement public, des hôpitaux, des funérailles, des cimetières, séparation de l’État et des cultes). C’est un ensemble indissociable.