Le ministère de l’Education nationale a rendu public le 18 décembre 2014 le projet du Conseil supérieur des programmes d’enseignement moral et civique pour le lycée.
Nous avons déjà analysé pour nos lecteurs le projet d’enseignement moral et civique pour le primaire et le collège et avons vu comment les fanfaronnades laïques de Vincent Peillon et l’invocation de Jaurès avaient progressivement cédé la place à un projet de formatage des esprits et des comportements.1 Des associations laïques ont protesté contre ce projet dont la seule vertu est d’être inapplicable.
Ces deux projets du Conseil supérieur des programmes feront prochainement l’objet d’une prétendue consultation. Il n’y a rien à attendre de cette nouvelle mascarade. Comme il vient de le faire pour la prétendue consultation sur le « socle commun », le ministère de l’Education nationale se prépare à annoncer au printemps 2015 que les enseignants et les acteurs du monde éducatif sont favorables aux programmes d’enseignement moral et civique. Dans son projet pour le lycée, le Conseil supérieur des programmes ne s’embarrasse d’ailleurs d’aucune précaution, puisque dans son préambule, il présente le projet de programme pour le collège comme étant déjà en vigueur.
Les choses étant ce qu’elles sont au ministère de l’Education nationale, il faut cependant se féliciter de ce que le projet de programme d’enseignement moral et civique pour le lycée soit moins normalisateur que celui pour le collège et que le charabia scolastique ne règne plus en maître. L’étude de la notion de laïcité et de la loi scolaire du 15 mars 2004 est même prévue pour la classe terminale. Mais ce sacrifice consenti par le Conseil supérieur des programmes ne s’accompagne hélas d’aucune référence à la laïcité dans le préambule du programme. La Charte de la laïcité à l’école est, quant à elle, censurée. Ce minimalisme laïque donne toute sa mesure quand on lit que le Conseil supérieur des programmes limite « la pluralité des convictions au sein des régimes démocratiques » à la « diversité des croyances et convictions religieuses ». Par sa conception étriquée du pluralisme démocratique de la société, le Conseil supérieur des programmes évince une base de la laïcité qui soutient que la liberté religieuse est une de des composantes de la liberté de conscience, au même titre que la libre pensée, l’athéisme ou l’agnosticisme. En rejetant ainsi un pilier juridique, philosophique, historique et politique de la laïcité, le Conseil supérieur des programmes penserait-il que la société contemporaine n’aurait rien à faire des vieilleries universalistes qui ambitionnent une égale liberté pour tous, qu’on ait ou non une religion ? Si tel est le cas, il aurait lui aussi été trompé par le mythe d’une France obsédée par les religions, remarquablement démoli par Catherine Kintzler. (Voir dans ce numéro.)
Ce n’est malheureusement pas tout. Car le « déflationnisme laïque » du Conseil supérieur des programmes s’accompagne d’une censure des valeurs de la République. Au lieu d’associer l’idée démocratique à l’idée républicaine, conformément à nos institutions et à notre avenir, le Conseil supérieur des programmes choisit d’exclure la république pour ne retenir que la démocratie, elle-même minimalisée. Limitant pour l’essentiel la démocratie à « la reconnaissance » de la diversité des croyances religieuses et à « la participation » à des débats sociétaux, le Conseil supérieur des programmes élude des problèmes structurels aux démocraties contemporaines, comme l’accaparement des richesses et des pouvoirs par une minorité et l’installation de la logique du profit privé à tous les niveaux de la vie sociale et politique. Il ignore également les enjeux démocratiques de l’instruction pour tous et de la force de la démagogie qui mine la démocratie. Son parti pris le plus rude est cependant l’éviction des fondamentaux de l’idée républicaine, comme la liberté qui délivre de la domination, l’égalité devant la loi, le principe de l’intérêt général, la vertu sociale du service public. Par ses choix idéologiques partisans, le Conseil supérieur des programmes se moule impeccablement dans la globalisation capitaliste et cautionne par avance l’idéologie réactionnaire, antirépublicaine, antimoderne et, inéluctablement, antisociale, sexiste et antidémocratique, du communautarisme religieux. Même libéré de l’inflation jargonnante et du formatage comportemental de son projet pour le collège, le projet du Conseil supérieur des programmes pour le lycée est gangréné par une déflation laïque et républicaine.
Aux laïques et aux républicains de se mobiliser et d’interpeller la ministre de l’Education nationale ainsi que les plus hautes autorités de l’État car, plus que jamais, la laïcité républicaine, refoulée par le Conseil supérieur des programmes, apparaît comme un principe de concorde et d’avenir. La gauche et les démocrates ne laisseront plus les fossoyeurs de la laïcité parler en leur nom. Le programme d’enseignement moral et civique pour le primaire et le collège doit être entièrement réécrit et celui pour le lycée revu à la hausse laïque et républicaine.