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La crèche n’a pas sa place dans une mairie

La République saura-t-elle faire respecter sa devise ? La laïcité ne consiste nullement à raturer toute trace des religions dans l’espace public, mais à traiter également les divers croyants, les athées ou les agnostiques. D’où le rejet de tout privilège officiel accordé aux uns ou aux autres. C’est pourquoi une crèche n’a pas sa place dans une mairie, un hôtel de région, un commissariat, un palais de justice, une école publique, bref dans les édifices officiels de la République.

Mais elle peut en avoir une dans une vitrine de magasin, dans une devanture de théâtre, dans une église et plus généralement dans tout espace public d’ordre privé, c’est-à-dire sans rôle étatique officiel. La séparation de l’Etat et des Eglises doit s’appliquer à tous les niveaux des collectivités territoriales, et le respect d’une telle exigence de neutralité des bâtiments officiels n’a rien d’offensant pour la religion. Il est simplement conforme au souci d’universalité et au principe d’égalité.

L’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 est très clair : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. » On ne peut prétendre qu’une crèche est une « exposition ». Sauf si l’on veut tordre les mots en tous sens pour nier les évidences. Une Annonciation de Fra Angelico est une œuvre culturelle sur un thème religieux. Elle peut être présentée dans un musée, ou dans une exposition de peinture. Mais une crèche est avant tout un emblème religieux, présenté pour entretenir la tradition chrétienne.

La mise en scène de la nativité, avec le petit Jésus dont la tête auréolée symbolise l’incarnation divine, et les Rois mages en adoration, relève strictement du récit chrétien. Les mairies sont des maisons du peuple tout entier et non des seuls croyants. On ne peut oublier que la neutralité qui s’y impose est le signe évident de leur universalité. Vouloir violer cette neutralité par l’installation d’une mise en scène religieuse dans une mairie, c’est revendiquer un privilège, évidemment attentatoire au principe d’égalité.

Imposture

L’invocation du culturel pour travestir une telle demande de traitement privilégié est une imposture. Elle constitue un prétexte partisan, greffé sur une acception contestable de la culture, assimilée à toute tradition ancestrale. En fait, le mot culture a deux sens contradictoires. Il peut recouvrir la soumission à la tradition, ou le dépassement de celle-ci à partir de son examen critique. Pour la laïcité, c’est un tel dépassement qui vaut, car il promeut l’émancipation en délivrant les êtres humains de pratiques oppressives trop souvent sacralisées. Rappelons qu’au nom des cultures, les religions ont imposé la notion machiste de chef de famille, l’excision du clitoris, la pénalisation de l’homosexualité, la lapidation pour adultère, l’infériorisation de la femme. L’amalgame entre culture et tradition pérenne joue souvent un rôle idéologique pour justifier l’injustifiable.

La confusion voulue entre culte et culture permet trop souvent de financer le culte en feignant de financer la culture. Les élus qui la pratiquent oublient leur devoir de promouvoir les principes républicains. A Paris, le financement public par le maire précédent de l’Institut des cultures de l’islam (ICI) annonce déjà la confusion. Un institut « culturel » équipé de salles de prière, c’est étrange ! Cela a coûté plus de 800 000 euros aux contribuables parisiens, dont beaucoup sont athées.

Ajoutons les 70 000 euros en juin dernier pour organiser dans le salon d’honneur de la Mairie une fête religieuse dite « culturelle » alors qu’elle célébrait le ramadan… Difficile ensuite de rappeler à Robert Ménard qu’il ne doit pas installer une crèche dans la mairie de Béziers. Le préfet de l’Hérault l’a pourtant fait. Il s’est entendu objecter le contre-exemple de Paris.
Il est urgent de rédiger un code de conduite laïque des élus. Cela éviterait d’ouvrir un boulevard à la droite extrême, qui usurpe la laïcité et n’en cultive que les apparences.

Jean-Marie Le Pen a dit de sa fille que sa référence à la laïcité était contingente, donc inessentielle. M. Ménard confirme, en violant la laïcité, y compris par une messe publique lors de la feria. Et Marine Le Pen confirme elle aussi en s’indignant qu’on ne veuille pas d’emblème religieux dans les mairies, ce au nom de « notre culture ». Elle condamne les prières de rue musulmanes mais non les processions catholiques du Limousin (les « ostensions »). Deux poids deux mesures.

Ce qui à terme menace la République en en brouillant le sens, c’est le fait d’encourager les communautarismes religieux par clientélisme électoral. Au passage, on gratifie ce dernier du nom pudique de « pragmatisme ». La laïcité, c’est l’égale liberté liée au sens du bien commun à tous, source de fraternité. N’oublions pas l’universel.

Henri Peña-Ruiz est ancien membre de la commission Stasi sur l’application du principe de laïcité. Dernier ouvrage paru : Dictionnaire amoureux de la laïcité (Plon) Prix de l’initiative laïque 2014 et Prix national de la laïcité 2014.

Par Henri Pena-Ruiz (Ancien membre de la Commission Stasi sur l’application du principe de laïcité)

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