L’exigence de neutralité religieuse et politique concerne-t-elle les parents qui apportent leur concours à des déplacements ou à des activités scolaires ? La question perturbe depuis plusieurs années la vie déjà difficile de nombreux établissements scolaires. La circulaire ministérielle du 27 mars 2012 recommande aux parents collaborateurs du service public de ne pas manifester par leur tenue ou leurs propos leur appartenance religieuse ou politique. Mais cette circulaire a une valeur seulement incitative. Du coup, comme l’a observé le Défenseur des droits, les dispositions prises varient d’un établissement à l’autre pour des situations voisines.
Le Conseil d’État n’a pas résolu le problème qui lui avait été soumis
Dans son étude du 19 décembre 2013, le Conseil d’État estime qu’à l’inverse des agents publics, les parents collaborateurs du service public ne sont pas soumis à l’obligation de neutralité. Il admet cependant que les exigences liées au bon fonctionnement de l’école peuvent amener l’autorité compétente à « recommander » à ces parents de s’abstenir de manifester leur appartenance religieuse.
En cas de désaccord entre un établissement scolaire et un parent, ce dernier pourra donc saisir sans peine le tribunal administratif ; charge alors à l’administration de prouver que sa demande de restriction de l’expression religieuse n’est pas abusive.
En maintenant la confusion et l’incertitude, la haute juridiction administrative place avec évidence le politique devant ses responsabilités.
Vers quinze années de conflits épuisants ?
Pour l’heure, le ministre de l’Éducation nationale a indiqué que la circulaire du 27 mars 2012 restait valable et que le gouvernement veillerait à ce que l’école « demeure un espace de neutralité ». Ces belles déclarations ne font, hélas, pas avancer d’un pas dans la résolution du problème. Si la situation devait rester en l’état, on se préparerait à rejouer le conflit sur les manifestations d’appartenance religieuse des élèves. La polémique déclenchée en 1989 laissa élèves, parents et personnels dans l’incompréhension de décisions prises « au cas par cas », jusqu’à ce que la loi du 15 mars 2004 mette un terme à ce désordre injuste, en interdisant aux élèves le port de signes religieux ostensibles.
L’école publique peut-elle aujourd’hui s’octroyer le luxe de quinze nouvelles années de surenchères communautaristes ? On peut en douter, d’autant que les ennemis de la laïcité continuent de prétendre que la loi du 15 mars 2004 discrimine les jeunes filles voilées.
Les élèves ne sont pas de simples usagers de l’école publique
En réalité, la loi de 2004 n’est pas antireligieuse et ne vise pas l’islam ni une tendance de l’islam. Elle préserve l’école de toute manifestation religieuse. Elle responsabilise l’élève qui contribue par sa discrétion sur son appartenance religieuse à « faire vivre la laïcité dans son établissement », selon les termes de la Charte de la laïcité. La loi de 2004 ne considère pas l’élève comme un client ou un usager, mais comme un sujet responsable, à son niveau, d’un climat scolaire serein.
Pourquoi ce qui est attendu de l’élève et a fortiori de l’enseignant, soumis à « un strict devoir de neutralité », ne le serait pas du parent qui participe à une sortie scolaire ?
Les parents collaborateurs de l’école sont investis d’une responsabilité particulière
Assurément, le parent qui se borne à conduire son enfant à l’école et à s’entretenir avec l’enseignant du cas de son enfant n’est pas tenu à une obligation de neutralité. Mais quand il participe à l’encadrement d’une sortie pédagogique, il se met alors au service de l’intérêt général. Investi par l’école d’une responsabilité collectivement assumée, il lui incombe donc, autant qu’à l’enseignant, de garantir la neutralité scolaire, condition du respect de la liberté de conscience de chaque parent et de chaque élève. Cette différence de situation trouve déjà un écho juridique puisqu’un parent qui se blesse à l’occasion d’une sortie scolaire est indemnisé par l’administration. Et tout élève peut saisir cette différence de responsabilité du parent au sein de l’école.
L’affaire Leonarda a d’ailleurs montré que les lycéens et l’opinion considèrent que l’école n’est pas un domaine comme un autre, qu’elle doit bénéficier d’une protection et d’un respect particuliers, y compris lors d’une sortie scolaire.
La régression communautariste contre l’égalité
Mais une propagande calomnieuse prétend que la « mère voilée » serait seule concernée, alors que le devoir de neutralité s’applique également au port de la kippa, de la croix et de tout autre signe d’appartenance religieuse ou politique. Car la laïcité ne discrimine personne, mais considère, à égalité de droits et de devoirs, chaque parent participant à une sortie scolaire, qu’il ait ou non une religion.
Cette propagande diffuse l’idéologie du communautarisme « inclusif » qui veut juxtaposer à l’école et dans la société des particularismes identitaires. Dépourvu d’ambition universaliste, le communautarisme inclusif déprécie les principes républicains de l’intérêt général et du bien public. Il réclame l’octroi de privilèges à des groupements repliés sur eux-mêmes et rétifs à la discussion critique. Il tend à subordonner toute valeur et toute liberté aux droits des religions, au détriment de la vertu civique et de la liberté de conscience dont la liberté religieuse n’est qu’une des formes.
Cette idéologie politique ne remédiera pas aux maux dont elle se nourrit : les fragmentations et les relégations sociales. En revanche, par sa démagogie et ses renoncements, le communautarisme inclusif brouille les repères humanistes et rationalistes essentiels, parmi lesquels l’école laïque comprise comme un lieu d’instruction et de transmission des valeurs de la République. Symétrique de l’idéologie nationaliste de « l’identité nationale », l’idéologie communautariste de « l’identité communautaire » livre, elle aussi, un combat contre l’intégration républicaine et l’école laïque.
Consolider l’école républicaine
C’est pourquoi il convient de s’engager plus avant pour la neutralité des parents collaborateurs et de tous les intervenants extérieurs de l’école publique, par l’explication, mais aussi par la voie réglementaire ou législative.
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